Lucien Sève. « L’homme » ? Penser avec Marx aujourd’hui, tome II ; La Dispute, 2008, 586 pages
Première et quatrième de couverture
Droits réservés : La Dispute, 2008
Table des matières
Comptes rendus et débats
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[2009] Par Isabelle Garo. L'homme ? Un grand livre engagé (article publié dans la revue La Pensée, n° 359 ; juillet 2009, p. 133-136)
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(Voir le second compte rendu dans cette même page)
[2012] Par Jean-François Kervégan. Lucien Sève, Penser avec Marx aujourd’hui. Tome 1 : Marx et nous, La Dispute, 2004, 284 p. Tome 2 : « L’homme ? », La Dispute, 2008, 588 p. - - lien externe
[2020] Par Julian Roche. Une théorie marxiste de la personnalité (traduit de l’anglais par Jean-Michel Galano) ; Cause commune n° 19, septembre/octobre 2020
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[2020] Par Jean-Yves Rochex. Marxisme et sciences du psychisme. Penser avec et en dialogue avec Lucien Sève ; La Pensée 2020/2 n° 402, p. 5-18 (Deuxième partie de l'article : " De Marxisme et théorie de la personnalité à « L’homme » ? ")
Lecture d'un extrait de « L’homme » ? (p. 212-213)
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Transcription
Pour reprendre les termes d’Engels, (l')anthropologie (de Marx) n’offre pas une doctrine toute faite mais « des points de départ pour la recherche ultérieure et la méthode pour cette recherche ». Malgré ses étroites limites de fait, la notion marxienne d’individu personnel n’en mérite pas moins attention à un triple titre.
Sa seule présence, de L’Idéologie allemande aux grands travaux économiques de maturité, atteste que l’anthropologie marxienne n’est pas plus fermée par construction au souci du sujet psychique qu’à celui des formations superstructurelles ou des réalités corporelles – c’est bien pourquoi elle a pu inspirer depuis un siècle des œuvres psychologiques aussi marquantes que celles d’Henri Wallon ou de Lev Vygotski.
Ensuite, justement parce qu’il en a souci, Marx a développé en nombre des analyses très inédites sur ce qui est induit dans le psychisme des individus et le cours de leur vie par les rapports de production sur lesquels porte toute sa recherche, de l’auri sacra fames à la dialectique travail concret/travail abstrait, de la genèse des capacités à l’effet du travail salarié sur la conscience que les femmes ont d’elles-mêmes – apports de première importance à une compréhension aujourd’hui encore novatrice de l’individualité humaine.
À quoi s’ajoute que, si maints aspects du sujet humain relevant d’approches autres que les siennes lui ont échappé, on peut penser qu’en formant le concept de « rapports sociaux » il a produit précisément – à condition de donner à l’adjectif « sociaux » son plus large sens – la catégorie générique requise par toute recherche sur l’individualité échappant aux impasses du naturalisme aussi bien que du culturalisme, qu’elle doive s’inscrire dans l’optique de Freud ou de Mauss, de Meyerson ou de Léontiev.
Et qui plus est, il a ébauché une analyse hautement suggestive en montrant comment le rapport entre l’individu social et ce qu’il nomme « l’individu personnel » – disons plus spécifiquement aujourd’hui : le sujet psychique – n’est pas un invariant naturel mais une production historique inhérente à chaque sorte de formation sociale, piste de recherche dont la fécondité a été éclairée depuis lors à propos de bien des questions, « production des grands hommes » ou crise de l’adolescence, « corps du Roi » ou genre sexué.
Voilà qui devrait obliger à redécouvrir la profondeur d’une pensée qu’on a voulu réduire à un économisme doctrinaire. On reviendra amplement sur la question du sujet psychique, sans esquiver les interpellations qu’il est coutume d’adresser au nom du freudisme à la perspective anthropologique marxienne. On peut en tout cas dès maintenant marquer combien cette dernière est étrangère aux étroitesses du sociologisme sous la rubrique duquel elle a été plus d’une fois rangée par complet contresens, alors qu’elle est fondée sur la découverte de l’intime emmaillage réciproque entre histoire sociale et histoire individuelle des êtres humains et qu’elle peut pour cette raison offrir, par-delà les cécités symétriques du sociologisme et du psychologisme, une vue enfin globale de ce qu’est l’humanitas de « l’homme ».